mardi 8 mars 2011

La Cité Mouvante

Je passai ma manche sur mon front, afin d’essuyer la sueur et les traces de suie qui s’y accumulaient, puis ajoutai à contrecœur une pelletée de charbon dans la chaudière afin de nourrir le feu mourant qui brûlait devant moi. Je jetai un coup d’œil au tas de charbon qui s’amenuisait à quelques pas.
Epuisé, je m’assis contre le mur, accoudé à un tuyau qui amenait de l’eau froide dans le four, seule source de fraîcheur dans cet enfer de vapeur et de charbon. J’avais peine à comprendre pourquoi la plupart des gens enviaient mon travail. Contrairement aux autres, il était certes à l’abri de la neige et des intempéries, mais personne n’imaginait que la chaleur pouvait être aussi pénible à supporter que le froid.
Et dans la Cité Mouvante, le froid, c’était la mort. L’immense chaudière centrale mettait en route les immenses chenilles qui portaient la Cité, elle pourvoyait toute la population en chaleur, en eau chaude. La Fournaise nous maintenait tous en vie.
Pendant les mois les plus cléments de l’été, nous faisions des provisions en bois, en charbon, afin de se préparer à l’hiver. Quand les grands froids arrivaient, il était indispensable d’en rassembler suffisamment pour tenir jusqu’à l’arrivée du printemps. Pendant l’hiver interminable, il neigeait sans discontinuer pendant neuf mois. Les forêts, les mines étaient enterrées sous des tonnes de neige, et ne réapparaissaient qu’à la fonte des neiges. Pour survivre, le village se déplaçait sans cesse, de point de chasse en point de chasse, afin de toujours trouver de quoi subsister dans notre empire polaire.
S’arrêter aurait signé notre arrêt de mort à tous, car il ne fallait que quelques jours pour que la tempête de neige enlise le village ambulant, et sans bouger, nos ressources en nourriture s’amenuisaient rapidement. Notre survie était donc précaire. Nous vivions dans un équilibre fragile, et il suffisait de peu de chose pour bousculer nos chances de survie.

Je ne sais pas exactement ce qui s’est passé cet hiver-là, et sans doute devrais-je accuser un concours de circonstances fâcheuses. Les grands froids étaient venus plus tôt que prévu, la collecte de bois avait été moins bonne, des accidents, survenus pendant l’hiver, avaient nécessité de puiser dans les stocks de bois pour faire les réparations.
Le mois de mars approchait, et les stocks s’amenuisaient inexorablement. La nuit interminable, la neige et le froid, en revanche, semblaient ne jamais vouloir s’arrêter. Je m’en ouvris au conseil, qui promit d’y réfléchir et de trouver une solution, ce qui me fit perdre patience. La solution, je la connaissais, mais le conseil qui dirigeait le village refusait formellement de l’appliquer.

En de rares moments, la chape nuageuse qui recouvrait notre territoire cessait légèrement, offrant à la ville mouvante un bref instant de répit pendant les neuf mois de tempête. On pouvait alors voir les Ruines, derniers vestiges de la civilisation de nos ancêtres, des immeubles abandonnés et des tours d’acier noir qui se détachaient à l’horizon. Les lieux étaient vides depuis des siècles, sans que personne ne sache réellement pourquoi. Les ruines faisaient l’objet de nombreuses histoires plus fantaisistes les une que les autres. Les uns racontaient qu’elles abritaient un démon des glaces, les autres affirmaient que la pollution avaient rendu l’air irrespirable. De l’avis général, ceux qui s’y aventuraient n’en revenaient jamais.
Ces histoires, j’y croyais, dans une certaine mesure, car je me doutais bien qu’une ville entière ne pouvait pas avoir été abandonnée sans une bonne raison. Mais ce dont j’étais sûr, c’était que si une expédition n’était pas organisée, nous mourrions tous de froid et de faim avant la fin de l’hiver.

Devant mon insistance, le conseil céda. Je résolus de partir seul, tiré par un traîneau. Une polaire me protègerait du froid, un fusil me protègerait des ours, et un masque à gaz me protègerait contre… Dieu savait quoi. Dans le sas qui séparait le village du monde extérieur, je flattai l’encolure des chiens qui m‘accompagneraient dans ma sortie.
Lorsque la porte s’ouvrit dans un bruit de vapeur, je sortis, réajustant mon col afin de mieux me protéger contre la tempête qui me mordait les joues. Nous marchâmes dans l’immensité polaire pendant des heures. Quand je me retournais, je voyais mes traces de pas que la tempête recouvrait lentement, et, plus loin, beaucoup plus loin, la Cité qui s’éloignait lentement, et qui se fondait peu à peu dans l’horizon.
Les ruines n’étaient guère loin, et il ne me fallut guère de temps pour en atteindre les bords. Les places et les rues avaient disparu sous des dizaines de pieds de neige depuis bien longtemps, et on ne voyait de cette ville abandonnée que d’interminables immeubles qui surgissaient du sol. Et créaient un univers de noir et de blanc, à peine nuancé, ici et là, par le logo coloré d’une compagnie pétrolière depuis longtemps tombé dans l’oubli.

Je guidai mon traîneau avec hésitation, sans trop savoir si je devais me mettre en quête de ressources immédiatement ou s’il était préférable de chercher un abri pour se reposer, quand un des chiens s’agita, bientôt imité par ses congénères Ils se mirent à grogner en direction d’un angle de rue, et c’est alors que je distinguai une forme sombre qui se tenait tapie dans un angle, et qui semblait guetter le moment propice pour me tomber dessus. Je l’abattis d’un tir de fusil à l’instant même où elle bondissait dans ma direction. Dans un jappement de douleur, la créature s’effondra sur le sol et ne bougea plus, et je m’approchai pour l’examiner avec attention. C’était une sorte de gros loup, dont la fourrure noire était épaisse et douce. De son flanc coulait une tache de sang qui imprégnait la neige.
Pris d’une pitié que je ne m’expliquais pas, je laissai là l’animal et repris ma route.

Je ne trouvai pas ce que je cherchais avant bien plus tard le lendemain. C’était une immense citerne, qui abritait un liquide noir, visqueux et nauséabond.
J’en prélevai tout d’abord une petite quantité. Au contact de la flamme de mon briquet, le liquide s’enflamma en un instant et se consuma pendant de longues minutes. Exactement ce que je cherchais. Je passai donc la journée à remplir les tonneaux que j’avais amenés sur le traîneau, puis, une fois ma cargaison faite, je repris ma route sans plus attendre.
Je sortis des ruines, et retournai dans ma Fournaise le cœur léger, sans autre incident pour interrompre mon voyage.
Pendant le voyage, je réfléchissais aux moyens d’exploiter cette ressource. Jeter l’huile directement sur le feu s’avéra être une mauvaise idée, car le liquide explosait au lieu de se consumer. La solution s’avéra d’une simplicité enfantine : Imbibé de liquide, le charbon qu’il me restait brûlait pendant bien plus longtemps, bien plus fort.
Une fois rentré, je jetai quelques morceaux de mon mélange dans le feu afin d’examiner le résultat. Le feu vira soudain au bleu, puis au vert, et dégagea une fumée noire, si âpre et intense que je me sentis défaillir. Je sortis en courant de la pièce, refermai la porte derrière moi en toussant jusqu’à en cracher mes poumons.
Je bandai un mouchoir autour de mon visage et retournai dans la pièce. Je n’y voyais rien, la fumée me piquait les yeux et m’obligea à les garder fermés. Je titubai au milieu de la pièce, manquai de trébucher contre le tas de charbon, puis atteignis le mur d’en face. Mes mains trouvèrent un levier, que j’actionnai en priant de toutes mes forces pour que ce soit le bon.

Dans le plafond, des conduits d’évacuation s’ouvrirent, aspirant en quelques minutes tout ce que la pièce contenait de vapeurs toxiques. Lorsque j’ouvris enfin les yeux, la fumée était partie. Elle suivrait les conduits d’aération, sortirait par les cheminées et s’évanouirait dans la nature, bien loin de nous.

Nous étions sauvés.


*
*     *

J'ai conscience d'être resté silencieux pendant un peu plus de temps que je ne l'aurais voulu, et, autant que possible, j'espère que personne ne m'en voudra. Je croule sous des projets, tous  plus importants les uns que les autres, et qui vampirisent l'essentiel de mon temps.
Quand, il y a quelques semaines, il m'a fallu revoir l'ordre de mes priorités, j'ai été obligé de mettre ce blog en bas de la liste. Ce qui me désole.

C'est une banale histoire de temps, comme toujours.




Du coup, pour me rattraper, je vous propose d'aller faire un tour du côté du blog-tout-frais-tout-neuf de mon ami HDB! Il organise un concours d'écriture (auquel je voulais participer, et puis j'ai pas eu le temps.)

En attendant, soyez dignes!

1 commentaire:

  1. J'aime beaucoup ce récit, on intègre l'histoire très vite. La cité mouvante n'est pas décrite dans son architecture, chose que je trouve logique, vue qu'on suis une personne toujours en salle des machines, mais aussi frustrante... J'aime bien aussi le principe du post-apocalyptique enneigé. Bref, j'approuve

    RépondreSupprimer